En l'absence d'autorité morale de poids (M Isidore de Souza, saint patron de la Conférence nationale de février 1990, n'est plus de ce monde !), les institutions républicaines sont en berne, l'initiative et l'audace féconde sont devenues denrée rare, l'imagination est en panne et des chars sillonnent le macadam cotonois à la tombée de la nuit, comme si l'on était à Asmara ou à Pyongyang.
Des chars sillonnent le macadam cotonois à la tombée de la nuit
La route qui longe la façade maritime du palais présidentiel de la Marina est interdite à la circulation de 19 heures à l'aube, obligeant les amours illégitimes et concupiscentes à trouver refuge ailleurs. Beaucoup d'élus et de professionnels de la politique, faisant ? du pacte républicain scellé au sortir de la Conférence nationale, se sont assis sur l'intérêt public et les valeurs qui fondent un Etat démocratique. Les intellectuels hurlent dans le désert et, bien souvent, confondent l'essentiel, le superfétatoire et le dérisoire.
Quand ils n'ont pas ostensiblement fait le choix confortable, à l'image des trois fameux singes ornant nombre de salons béninois, de "ne rien voir", "ne rien entendre" et, surtout, "ne rien dire". Des syndicalistes sont inquiétés pour des vétilles dans un pays où la garde à vue semble en passe de remplacer la banale contravention de police.
Journaux, radios et télévisions ont perdu cette impertinence gouailleuse qui faisait l'admiration des Nigériens, des Sénégalais et autres Ghanéens, propulsés, depuis, sur les premières marches au podium d'honneur. Méconnaissable, le Bénin a dégringolé dans les classements des organismes de défense des journalistes, alors même que nombre de ses indicateurs socio-économiques ont viré au rouge. La situation est à ce point pitoyable que beaucoup d'observateurs avertis craignent que ce pays, cité depuis près d'un quart de siècle comme un modèle, ne renoue avec ses vieux démons. Rappelons à l'attention des plus jeunes qu'en des temps pas si éloignés le Dahomey (ainsi appelait-on cet Etat turbulent à nul autre pareil) passait aux yeux du reste du monde pour un vaste laboratoire ès coups d'Etat, avec une valse ininterrompue de pouvoirs politiques aussi abracadabrantesques qu'éphémères.
En l'espace de quelques décennies, des régimes parlementaires, présidentiels, présidentialistes, un chef d'Etat dont la durée de vie n'excéda guère une petite semaine, un directoire militaire, un Conseil présidentiel trigonocéphale giratoire et un Gouvernement militaire révolutionnaire se sont ainsi succédé à la tête de l'Etat…
L'instabilité était telle que le pays reçut le quali?catif peu ?atteur d'"enfant malade de l'Afrique". Près d'un quart de siècle après la Conférence nationale, le voilà rattrapé par son passé. Les combinazioni et les intrigues de cour ont de nouveau droit de cité, les règlements de comptes sont monnaie courante. La catharsis et le sursaut, dans de telles conditions, sont-ils encore possibles ?
C'est ce que semblent croire des intellectuels de la diaspora, initiateurs, à la ?n d'octobre, d'un "appel à l'apaisement du climat sociopolitique". Venus d'horizons divers, de toutes sensibilités, les intéressés entendent opportunément rappeler aux pyromanes de tout acabit quelques élémentaires vérités : le complot ne saurait constituer, en démocratie, un moyen d'accession ou de maintien au pouvoir ; le président de la République se doit de prendre de la hauteur et d'incarner l'unité nationale ; toute manœuvre d'intimidation, d'où qu'elle vienne, ne peut que contribuer à ternir l'image du pays et brider la liberté d'expression ; en vertu de la Constitution du 11 décembre 1990, le second (et ultime) mandat du président Yayi Boni s'achève en mars 2016, et tout le monde est invité au strict respect de cette échéance et à la participation au sursaut civique indispensable à toute alternance de qualité. Cette invitation à la sérénité et à un retour aux fondamentaux de la démocratie béninoise sera t-elle entendue dans le capharnaüm actuel ?
On veut le croire, même si tout indique que le Rubicon est déjà franchi.