Pendant des mois, il a mobilisé des bataillons de conseillers ministériels, des avocats du cabinet américain Cleary Gottlieb et des banquiers français Lazard. Mieux, Denis Sassou-Nguesso a les services d'une personnalité exceptionnelle, l'ancien patron du FMI lui-même, Dominique Strauss-Kahn. Comme l'a déjà révélé Challenges, DSK conseille le président congolais depuis un an. Il s'est rendu plusieurs fois à Brazzaville, a piloté des réunions techniques à Paris et a ensuite envoyé son bras droit, Philippe Valachs, lors de la visite du FMI.
PME mystérieuse
L'Afrique est le nouveau terrain de chasse de l'ancien ministre converti en un consultant de luxe. Le 13 avril, il a fait son premier tweet pendant deux ans et demi pour rendre public un rapport technique qu'il a écrit sur la réforme du franc CFA, un sujet symbolique pour les dirigeants africains. Son entreprise, Parnasse International, est domiciliée au Maroc, où il réside la moitié du temps même s'il a un appartement à Paris.
Cette PME mystérieuse, dont il est le seul employé, court à toute allure. Selon le registre du commerce local, elle a généré un chiffre d'affaires net de 3,6 millions d'euros en 2016. DSK a tourné la page des scandales sexuels pour se concentrer sur son activité, autant que possible depuis la France.
Au printemps 2013, après avoir quitté l'affaire Sofitel à New York, la victime de la peste a créé sa société. Deux personnes étendent alors leur main. Le premier est un financier franco-israélien, Thierry Leyne, avec lequel il rejoint le groupe Leyne Strauss-Kahn & Partners (LSK), une aventure qui se transformera en tragédie (voir encadré ci-dessous). Le second est un autre financier, d'origine bulgare, Wladimir Mollof, chef de la banque d'investissement Arjil, qui a de solides réseaux dans les Balkans. C'est lui qui a apporté à DSK son premier mandat en tant que conseiller économique d'un Etat, la Serbie, pendant trois ans.
A partir de 2016, les deux hommes travaillent sur la promotion du plan Tunisie 2020, organisant des roadshows pour attirer les investisseurs étrangers. Le président Béji Caïd Essebsi et son entourage sont restés de grands fans de DSK, qui a donc été mis dans la boucle à l’issue de l’appel d’offres, remporté au nez et à la barbe des poids lourds Lazard et Rothschild. La même année, DSK et Mollof prospectent aussi au Congo. Ils cherchent alors à se positionner sur les négociations entre l’Etat et le géant du négoce Glencore. Mais DSK choisit de faire cavalier seul sur le continent, au grand dam de Mollof, qui a depuis coupé les ponts.
Petite équipe
Le Français s’appuie d’abord sur ses liens avec Faure Gnassingbé, président du Togo, où il décroche un contrat en juin 2016. «Il l’a poussé à faire remonter les chiffres cachés de la dette publique et a contribué à l’éviction du contesté ministre des Finances Adji Ayassor», reconnaît un diplomate français. Le Togo finit par décrocher un prêt triennal du FMI en mai 2017. Depuis, DSK assure le suivi de l’exécution budgétaire.
Philippe Valachs, qui fut son chef de cabinet au ministère de l’Economie, se rend chaque mois au Togo pour inciter les directions ministérielles à serrer la vis. Il est parfois épaulé par Pierre Uhel, retraité de Bercy, ou Sara Bertin, ancienne du FMI et de l’agence Moody’s, que DSK avait déjà fait venir à LSK. Une petite équipe flexible de personnes de confiance, qui travaillent en free-lance.
Satisfait de leur travail, le président Gnassingbé a ensuite poussé le Français auprès de Denis Sassou-Nguesso. «Il a trouvé un bon créneau: certains Etats africains manquent de conseillers qui connaissent le fonctionnement des institutions internationales et savent répondre à leurs exigences», souligne l’ancien Premier ministre du Bénin, Lionel Zinsou. L’ex-patron du FMI aurait gardé de très bonnes relations avec certains cadres régionaux du fonds.
Mais un diplomate nuance: «Son activisme irrite la directrice Christine Lagarde, qui a déjà refusé de le prendre au téléphone.» Ses offres de service ne sont pas toutes couronnées de succès. Il a ainsi rencontré deux fois le président sénégalais Macky Sall puis sollicité un entretien avec la directrice du Trésor français pour parler du pays. Mais cette agitation n’a rien donné.
Très opportuniste, DSK use aussi de son carnet d’adresses pour dégoter des contrats dans le privé. Il peut toujours compter sur quelques amis qui avaient déjà investi dans LSK. Ainsi, le magnat ukrainien de la sidérurgie Viktor Pintchouk l’a placé au conseil de surveillance de sa banque Credit Dnepr. DSK fait aussi des affaires avec son voisin de riad à Marrakech, l’énigmatique Mohamed Ould Bouamatou.
A la tête d’un empire allant de la banque aux cigarettes, la première fortune de Mauritanie a lancé des fondations caritatives et finance l’association anticorruption Sherpa. A l’automne 2017, DSK a notamment mis en relation le Mauritanien avec l’agence Havas, qui le conseille face aux poursuites judiciaires lancées par le régime de Nouakchott.
Discrétion absolue
Enfin, il travaille depuis trois ans pour le mystérieux groupe suisse Sicpa, leader mondial des encres de sécurité (billets de banque, passeports). Son propriétaire, Philippe Amon, a enrôlé DSK et son camarade d’HEC Henri Proglio, ex-patron d’EDF, pour ouvrir les portes de la Russie. DSK siège notamment au conseil de surveillance du RDIF, le fonds souverain russe. Mais aucun contrat significatif n’a été signé.
Il a également prospecté en vain pour Sicpa en Afrique de l’Ouest et a fait appel à Olivier Spithakis, vieil ami condamné dans le scandale de la Mnef, pour tenter une percée en Algérie.
Ce manque de résultats n’aurait pas empêché DSK d’être payé par Sicpa la bagatelle de 80.000 euros par mois, selon nos informations. «Il participe aux comités stratégiques du groupe mais nul ne sait s’il a vraiment été décisif dans un dossier, peste une source en interne.
On le soupçonne de jouer sur plusieurs tableaux, il dit qu’il va au Togo pour Sicpa puis on apprend qu’il travaille pour le gouvernement.» Ni Sicpa, ni Henri Proglio, brouillé avec la société, n’ont voulu faire de commentaire. Joint par téléphone, DSK n’a pas non plus souhaité nous répondre, fidèle à sa politique de discrétion absolue, qui est désormais l’un de ses arguments de vente.
Le tragique naufrage du fonds LSK
C’est la dernière menace judiciaire qui plane au-dessus de la tête de Dominique Strauss-Kahn. Une enquête menée par la juge financière Claire Thépaut est en cours depuis plus de deux ans à la suite de plusieurs plaintes pour escroquerie, déposées par des investisseurs ayant perdu leur argent dans LSK. Parnasse International détenait 20% de cette structure à qui DSK était censé apporter ses contrats de conseil.
A l’époque, un fonds d’investissement à son nom doit même voir le jour et lever 2 milliards de dollars. Mais le projet capote, la cavalerie financière montée par l’associé de DSK, Thierry Leyne, s’emballe et LSK fait faillite à l’automne 2014. Pire, le financier est retrouvé mort au pied d’une tour de Tel-Aviv, la police concluant au suicide. Depuis, la juge attend le retour de commissions rogatoires internationales. Elle n’a pas encore entendu DSK, qui assure n’avoir rien su des difficultés de LSK et avoir lui-même perdu 1,4 million d’euros.
Par David Bensoussan et Clément Fayol
(avec challenges.fr)