Sénégal Airlines n’a pas encore pris son envol, mais ses parents et ses parrains font tout pour que la croissance de l’enfant ne soit pas contrariée. Quitte pour cela, à mettre des bâtons dans les roues de tous les concurrents potentiels. Surtout du plus sérieux d’entre tous. Depuis le mois de janvier dernier, Asky, la nouvelle compagnie aérienne à vocation panafricaine cherche à obtenir des droits d’atterrissage à Dakar, en vain. Les responsables de l’Agence nationale de l’aviation civile du Sénégal (Anacs), un département qui dépend directement du ministère des Transports aériens, usent de tous les artifices pour ne pas accéder à cette demande.
Des membres du personnel, déclarent qu’elle planifie son expansion future, à partir d’un hub comme Dakar, qui est de loin plus important, aussi bien sur le plan des infrastructures que de l’ouverture à l’international, que la capitale du Togo. Elle avait prévu 12 vols par semaine à partir de Dakar. Mais les autorités de l’aéronautique au Sénégal n’en veulent pas. Pourtant, en Afrique de l’ouest, Asky dessert déjà Ouagadougou, Bamako, Banjul, Accra, Cotonou, Niamey, Freetown et Conakry, en plus d’Abidjan. Au total, la compagnie, avec ses Boeing 737-700 de dernière génération, couvre plus de 20 destinations en Afrique.
Personnel sénégalais à 22%
D’ailleurs, ses fondateurs ne cachaient pas à sa naissance, d’en faire une continuatrice de la défunte Air Afrique. Née peu de temps après la faillite de Air Sénégal international (Asi), Asky Airlines s’est amplement servie sur la dépouille de la défunte compagnie sénégalo-marocaine. Ainsi, dit une source interne, plus de 22% du personnel cadre de Asky sont des Sénégalais. «4 de nos commandants de bord sont des Sénégalais, ainsi qu’un grand nombre de stewards, d’hôtesses de l’air et autres personnels navigants.» A tout ce monde, il faut ajouter le directeur commercial de la compagnie, qui est aussi du Sénégal. En fait, l’essentiel du personnel navigant de Asi s’est replié à Lomé, pour se mettre au service de Asky.
«Avec tout cela, le fait que notre pays ne nous accorde pas des droits d’atterrissage, fragilise quelque peu la position des Sénégalais au sein de la boîte», se désole l’une de ces personnes.
Qui estime par ailleurs, à plus de 4 milliards de francs Cfa, le manque à gagner de Asky, depuis janvier dernier, du fait de ne pas desservir Dakar. Surtout qu’ils ne comprennent pas les raisons de la partie sénégalaise.
Quelque temps après avoir introduit sa demande de desserte, la compagnie panafricaine, dont 20% du capital est détenu par son partenaire stratégique, Ethiopian Airlines, s’est vu dans un premier temps objecter un non-respect des normes techniques, pour voir son dossier rejeté. Il y a deux semaines de cela, Asky Airlines est revenu avec un nouveau dossier que même certaines voix anonymes de l’Anacs, reconnaissent qu’il est inattaquable en matière de sécurité et de respect des normes techniques. Alors, quid ?
Mathiaco aux abonnés absents
Le Quotidien a tenté hier d’en savoir un peu plus en se rapprochant de l’Anacs. Malheureusement, le directeur Mathiaco Bessane semblait logé aux abonnés absents. Il était injoignable hier, et il n’a pas répondu, même aux messages laissés à son secrétariat.
Néanmoins, des personnes proches du ministère des Infrastructures et des Transports aériens, qui sont sous la tutelle du ministère dirigé par Karim Wade, affirment néanmoins, sous le sceau de l’anonymat, que le Sénégal n’a pas l’intention d’accorder à Asky Airlines des droits de trafic sur le territoire sénégalais, tant que Senegal Airlines ne sera pas en situation de décoller. «Avec l’envergure que prend Asky, les autorités craignent que si elles lui permettent d’opérer déjà à partir de Dakar, cette compagnie ne vienne à fidéliser une forte clientèle, qui sera irrémédiablement perdue pour Senegal Airlines», déclare un fonctionnaire.
La même personne ajoute que, pour contourner une plainte pour entrave au libre commerce sur le territoire de l’Union, les autorités sénégalaises se sont elles, em-pressées d’attaquer auprès des Cours de justice de l’Uemoa et de la Cedeao, pour se plaindre des «avantages exorbitants accordés à Asky sur la place de Lomé». Pour cette personne, les responsables de l’aéronautique nationale estiment que, si le ciel du Sénégal était ouvert à Asky dans ces conditions, ce serait lui accorder trop d’avantages comparé à ses concurrentes présentes et à venir. Quoi qu’il en soit, le temps que prendront ces instances communautaires pour trancher ce litige laisse une marge aux autorités sénégalaises, qui assurent que leur bébé Senegal Airlines aura vu le jour en ce moment.
Allergie sénégalaise à Asky
Seulement, ces arguments «d’avantages exorbitants accordés à Asky» risquent de ne pas prospérer, au regard du traitement accordé par le Sénégal, à d’autres compagnies de la sous-région, beaucoup moins ambitieuses. Ainsi par exemple, les avions du groupe Celestair, propriétaire de Air Mali et de Air Burkina, bénéficient des mêmes avantages dans ces deux pays, qu’Asky au Togo. Et pourtant, ces deux compagnies ont acquis des droits de trafic sur le Sénégal sans problème. On pourrait y ajouter le cas de Nigerian, qui a pris la place de Virgin Nigeria, ou de Air Mauritanie. Toutes ces compagnies bénéficient des mêmes avantages comparatifs dans leur pays de siège par rapport à d’autres, mais elles font du trafic avec le Sénégal sans difficulté.
La vérité semble être que nos dirigeants ont développé une certaine allergie par rapport à Asky qui, dès sa conception, a semblé constituer un frein à leurs ambitions velléitaires. Quand nos dirigeants courtisent Emirates dans un partenariat improbable, où les Dubaïotes devraient leur céder quelques-uns de leurs anciens avions, Asky présente des avions neufs. Et les compétences de leur partenaire éthiopien ne pâlissent pas à côté de ce qu’affiche Emirates, notre déclaré partenaire stratégique. En plus, au moment où Karim Wade peine à rassembler le capital de sa compagnie, malgré les pressions exercées sur presque tous les membres du patronat qui comptent dans ce pays, Asky affiche un capital réalisé de 60 milliards. Six fois plus que ce que peut présenter actuellement Senegal Airlines. Et pour ajouter l’insulte à l’injure, ces gens-là ont choisi pour leur siège à Dakar, les anciens locaux de Asi, sur l’avenue Hassan 2 ! De quoi faire monter la moutarde au nez du Prince !
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