Les circonstances de la mort du Général-président demeurent floues. On évoque souvent une brûlure à l’eau chaude. Suivons le film des deux jours qui ont suivi le décès du Général Eyadema Gnassingbé:
Samedi 05 février 2005
Il sonnait 19 heures quand le Premier ministre Koffi Sama annonçait la disparition du chef de l’Etat, le Général Gnassingbé Eyadema. « Une catastrophe nationale vient de frapper le pays », a-t-il déclaré sur les médias nationaux. Dans le communiqué qu’il a lu sur un ton grave, le Premier ministre a déclaré que « le Président est décédé ce matin alors qu’on le transférerait à l’extérieur du pays pour subir des soins ». Annonçant par ailleurs la fermeture des frontières. Il serait donc mort en avion dans l'espace libyen, allant en Israél. Par contre, plusieurs sources affirment qu'il est mort avant même le "transfert-cinéma".
Moins de 2 heures après cette annonce, alors que le corps du défunt n’était pas encore refroidi, le chef d’Etat major des FAT, le Général Zakari Nandja a également, dans un message lu toujours sur les médias nationaux, affirmé que l’armée « constatant la vacance totale du pouvoir suite au décès du chef de l’Etat et à l’absence du président de l’Assemblée nationale Fambaré Ouattara Natchaba a décidé de confier le pouvoir à Faure Gnassingbé », un des fils du défunt président, en présence d’un autre fils du défunt, Kpatcha Gnassingbé, qui croupit aujourd’hui en prison pour atteinte à la sûreté nationale et de plusieurs officiers de l’armée dont Séyi Mémène et François Akila-Esso Boko. Le coup d’Etat vient d’être perpétré.
Cette situation a suscité de vives réactions dans le pays et de la communauté internationale. L’Union Africaine (UA) par la voix de son responsable Alpha Omar Konaré (ancien président du Mali) a qualifié cette situation de coup d’Etat des mercenaires en col blanc, faisant allusion au rôle néfaste de Debbasch. Les condamnations fusaient de partout : le président en exercice de l’UA, la CEDEAO, l’OIF, l’UE, etc. A l’intérieur du pays, l’opposition démocratique a haussé le ton. Seule voix discordante est celle de Jacques Chirac, le président français qui a rendu hommage à « l’illustre disparu » en le qualifiant d’ « ami de la France et ami personnel », sans dénoncer fermement l’arbitraire.
Dimanche 06 février 2005
Le gouvernement décrète un deuil national de 2 mois. A la suite des condamnations internationales dénonçant le coup de force constitutionnel, le corps électoral a été convoqué dans un délai de 60 jours. Les nouvelles autorités togolaises ont voulu habiller de légalité cette mascarade constitutionnelle. Ainsi l’Assemblée nationale dominée frauduleusement par le RPT réunie en session extraordinaire a modifié les articles 65 et 144 de la Constitution qui prévoyait des élections dans un délai de 60 jours et l’interdiction de modifier la constitution en période de vacance du pouvoir. En outre l’article 203 du code électoral fut également modifié pour permettre à Faure Gnassingbé de retrouver son siège de député.
Avec ces tripatouillages, il ne restait à Faure Gnassingbé que de faire ce qu’il convient d’appeler un passe-passe. Ainsi donc à la tête où les FAT l’ont placé, il démissionne de son poste ministériel précédant et reprenant sa place de député avant de se voir élire à la tête du perchoir de l’Assemblée nationale afin d’occuper « légalement » la présidence. Ainsi en l’espace de 24 heures, ce jeune homme calme et discret dont on disait beaucoup de bien, par rapport aux nombreux autres enfants d’Eyadéma, s’est non seulement discrédité en devenant putschiste, mais encore en occupant tous les postes de l’Etat : du ministre à la présidence de la République en passant par le député et président de l’assemblée nationale avant de redevenir Président de la République. Une ascension fulgurante jamais vu auparavant dans l’histoire du pays.
Auparavant le président de l’Assemblée nationale a démis de son poste Natchaba Fambaré pour permettre l’élection de Faure Gnassingbé à sa place. Ce vote a été confirmé à 100% par les 67 députés RPT présents à l’Assemblée Nationale, malgré véhémente protestation de Natchaba.
Sur diverses pressions, Faure Gnassingbé démissionnera quelques jours plus tard pour laisser la place à Abass Bonfoh, vice-président de l’Assemblée, qui va organiser une parodie d’élection avec le revirement de la CEDEAO et consorts. Le reste tout le monde le connaît aujourd’hui, 500 morts selon les Nations Unies, 800 à 1000 morts selon les organisations de défense des droits de l’Homme. Osons parier que c'est un passé à jamais révolu.
Sept (7) ans après, les Togolais se souviennent du décès de celui dont le règne fait couler beaucoup d’encre et de salive. Honnêteté oblige, son bilan à la tête du Togo reste essentiellement caractérisé par le refus de la démocratie, des assassinats politiques, des trafics en tous genres et des pillages de deniers publics. Même le parti RPT qu'il a laissé comme "trésor" est tellement encombrant que le principal héritier cherche à s'en débarrasser, pour atténuer la douleur du peuple. Que donc retenir d'Eyadéma en bien ?
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La biographie non officielle d’Eyadéma parue en 1985 dans le journal BLACK, et publiée jadis par le site officiel de l’UFC de Gilchrist olympio, témoigne de son destin hors du commun :
« Etienne Gnassingbé Eyadéma est né vers 1936 à Pya-Bas, petit village du pays kabrès, situé a cinq kilomètres de la ville de Lama-Kara, dans le Nord du Togo. Il avait environ huit mois lorsque son père, de retour des « travaux forcés », décéda, à la suite d’une forte fièvre. A peine avait-il atteint l’âge de 4 ans que sa mère, pour se remarier, l’abandonna dans la maison familiale. Car, à l’époque, dans les coutumes kabrèses, une femme ne pouvait pas intégrer le domicile d’un nouvel époux avec des enfants d’un précédent mariage. Etienne fut donc livré très tôt à lui-même, personne, dans la maison paternelle, ne s’était réellement occupé de lui.
Son plus grand problème était de manger.
Victime d’un aspect des coutumes, Etienne allait trouver dans les pratiques de son milieu natal la solution de son principal souci. Il était en effet de règle dans la société kabrèse que chaque épouse apporte à son mari un repas tous les soirs au moins. Ainsi, plus un homme avait de femmes, plus il avait à manger. Il y avait donc dans le village de Pya une maison tout indiquée pour trouver à manger en abondance : le domicile du chef de canton, Robert Assih. Ce dernier avait une cinquantaine d’épouses, et donc une cinquantaine de plats. Il ne pouvait guère manger qu’un seul. Le reste était distribué à sa nombreuse progéniture, qui partageait généreusement avec les enfants nécessiteux du village. Etienne était un des plus réguliers, et le chef finit par le remarquer.
Aussi, lorsqu’ à la rentrée scolaire d’octobre 1943, la mission protestante de Pya demanda au chef de village de leur envoyer des enfants a scolariser, le chef désigna Etienne. Dans cette région du Togo, ils étaient encore peu nombreux, les notables qui avaient compris l’utilité de l’école. Les chefs y envoyaient de préférence les enfants de leurs adversaires, ceux des pauvres ou ceux qui étaient soupçonnés d’être des sorciers en puissance. Le chef Assih n’hésita donc pas à joindre au lot le jeune orphelin abandonné. Hélas, neuf ans après, Etienne en était encore à tripler le cours élémentaire première année. Il fut donc exclu de l’école en 1952, pour « fainéantise et voyoucratie ».
Le chef Assih le fit alors entrer au Centre d’apprentissage de Farindé (dans la région de la Kara), où les jeunes de la région étaient formés à divers métiers artisanaux. Le centre, fondé par le pasteur Delors, était dirigé par un certain Kao Gabriel originaire de Pya, Tous les apprentis étaient des pensionnaires. Ils étaient renvoyés dans leurs villages le samedi après-midi. Ils revenaient au cours le dimanche soir, avec des vivres pour la semaine. La formation était polyvalente : menuiserie, forge, cordonnerie, tissage, etc. Parallèlement, les apprentis faisaient de la culture maraîchère et de l’élevage. Les petits travaux domestiques étaient assurés à tour de rôle, par les pensionnaires.
Déjà une attirance pour le sang...
Un jour, à midi, alors qu’il était chargé de tenir éloignés d’un tas d’arachides mises à sécher, les poules, les chèvres et autres animaux élevés dans l’enceinte du centre, Etienne Gnassingbé Eyadéma commit un acte « remarquable », que ses anciens condisciples évoquent encore aujourd’hui avec le même frisson. Une chèvre au ventre ballonné tentait de s’approcher du tas d’arachides quand Etienne sauta sur elle, l’ éventra avec son coupe-coupe, lui retira du ventre deux petits qu’il étala devant ses petits camarades ahuris. Dès lors, le directeur du centre allait l’avoir à l’œil. Ainsi pourra-t-il s’apercevoir très vite que le jeune Gnassingbé était très coléreux, qu’il recourrait facilement à des scies, marteaux, coupe-coupe et autres outils de travail à la moindre dispute avec ses camarades. Et puisque les résultats de l’apprenti laissaient à désirer. Il fut exclu du centre, quelques six mois après y être entré.
De retour a Pya, Etienne s’installa à nouveau au domicile du chef Assih. Ce dernier finira, lui aussi, par se lasser du jeune garçon. A plusieurs reprises, il sera pris en flagrant délit d’ adultère avec des épouses du chef.
Evidemment, M. Robert Assih était dans l’impossibilité de satisfaire régulièrement ses quelques cinquante femmes. Les plus délaissées, en manque, prenaient en leur protection les jeunes garçons de la « maison » et en faisaient des amants. Etienne était devenu client de plus d’une.
L’armée : une punition.
A partir de ce moment le chef Assih cherchera les moyens de « punir » Etienne Gnassingbé Eyadema. L’occasion lui sera offerte un jour de 1953, avec la visite à Pya du lieutenant Kléber Dadjo, premier officier togolais et ami du chef. Ce dernier lui demanda d’amener Etienne avec lui à Lomé, de l’enrôler dans l’armée, « pour le dresser ». L’officier examina longtemps le jeune homme, puis confia à M. Assih qu’Etienne était boiteux et ne pouvait par conséquent pas être recruté dans l’armée. Le chef demanda au lieutenant de l’emmener quand même, au nom de leur amitié.
L’officier quitta donc Pya avec Etienne Gnassingbé Eyadéma, qu’il gardera comme boy-cuisinier à son domicile du camp de la gendarmerie, à Lomé. Quelques mois plus tard, il lui fit subir une opération chirurgicale à la rotule qui permit de redresser légèrement la jambe malade. Etienne manifesta alors le désir d’entrer dans l’armée. C'était en 1954, à Ouidah, en République du Dahomey (actuel Bénin), l’armée française recrutait alors des « tirailleurs » pour l’Indochine. Le lieutenant Dadjo envoya Etienne avec une note de recommandation. Il sera effectivement enrôlé et envoyé en Indochine, puis en Algérie.
A la suite des accords d’Evian du 19 mars 1962, la France renvoya dans leurs pays d’origine les Africains qui avaient combattu sous le drapeau français. Etienne fut donc envoyé à Ouidah, où il servit quelques temps comme cuisinier avant d’être libéré, avec une indemnité de 300 000 F CFA (6000FF). Il n’avait pas fait le nombre d’années nécessaires pour prétendre à la pension de l’armée française.
Il voulait une place de planton.
Etienne se rendit à Lomé, dépensa une partie de son pécule à s’amuser. Puis, sur un conseil de son camarade Félix Bitho, il acheta un moulin à huile qu’il confia à un de ses parents à Pya. Mauvais investissement ! Dans la région de la Kara. les femmes préféraient encore écraser sur des meules de pierre leur mil Très vite, Etienne se retrouve sans le sou. Il vivait de plus en plus péniblement. A son âge, il ne pouvait plus décemment se mêler aux enfants pour profiter des restes de nourriture du chef.
Tous les matins, il quittait sa petite case et se rendait à pied à Lama-Kara. Là, il faisait le tour de ses anciens compagnons d’Indochine et d’Algérie, qui le tenaient au courant des démarches faites par certains de leurs camarades, en vue de leur éventuelle réintégration dans l’armée togolaise. Il mangeait chez l’un à midi, prenait le repas du soir chez un autre, empruntait le vélo de son ami Jacques Banissa pour rentrer à Pya. Il remorquait un jeune élève qui rapportait ensuite le vélo à son propriétaire. Ses habits s’usaient sans qu’il pût les remplacer. Ses chaussures étaient éculées. Derrière lui, on riait discrètement. A bout de souffle, Etienne envoya une demande d’emploi au Ministère de la Fonction publique à Lomé. Il voulait un poste de planton. Il attendait encore une réponse à sa demande lorsque, fin décembre 1962, il fut informé par ses amis de Lama- Kara que leurs camarades restés à Lomé préparaient quelque chose, qui résoudrait certainement leurs problèmes matériels. Il se tint au courant.
Abattre Sylvanus Olympio pour 300 000 Fcfa.
Le 12 janvier, il prit le train pour Lomé en compagnie de ses autres camarades de Lama-Kara. Dans le train, ils causaient en kabrès, évoquaient le coup, échafaudaient des projets. Une femme était dans le même wagon qu’eux, qui suivait leur conversation. Elle en informera le ministre de l’Intérieur de Sylvanus Olympio, qui ne prendra aucune mesure pour empêcher le coup. A leur arrivée à Lomé. Etienne et ses compagnons participèrent en fin d’après-midi à une réunion préparatoire avec leurs camarades de la capitale. Etienne fut désigné pour procéder à l’arrestation du président Sylvanus Olympio, tandis que le sergent Robert Adewi était chargé d’arrêter les ministres et les députes.
Longtemps après le coup d’Etat, quand les relations entre Eyadéma et Adéwi se seront détériorées, le sergent (devenu commandant) Adewi affirmera à des amis qu’après la réunion préparatoire, Etienne Eyadéma avait été pris à part par le commandant Maîtrier qui lui aurait demandé d’abattre Sylvanus Olympio, contre une récompense de 300 000 F CFA (6 000 FF). D’autres détails des événements précédant ou venant après l’assassinat allaient ajouter au lourd soupçon qui pèsera longtemps encore sur cet officier français dans ce qui demeure le premier (et peut-être le plus odieux) assassinat de chef d’Etat en Afrique Francophone ».
K.K. in BLACK, 5 juin 1985.
(Mo5-togo.com)