Cet homme dont mon père feu Gabriel Anani DEGLI a été un des collaborateurs puisqu’il fut l’un des dirigeants du Comité de l’Unité Togolaise (CUT) à Kpalimé et fut même parmi les 12 jeunes appréhendés et incarcérés parce qu’ils auraient voulu venger la mort du père de l’indépendance.
C’est également par ces mots que je voudrais proclamer la fin de ces 16 ans 3 mois et 24 jours d’exil. En effet, c’était le 19 Juillet 1992 que j’ai quitté la Terre de nos Aïeux pour une mission de 21 jours qui devait me mener aux Etats-Unis et en Europe. J’espérais à l’époque que la persécution dont j’étais l’objet prendrait fin rapidement et que je pourrai revenir au pays. J’en étais tellement persuadé que lorsqu’au Département d’Etat américain, Monsieur John Lewis le Directeur de Cabinet de Herman Cohen (alors chargé aux affaires africaines) m’avait demandé si j’entendais solliciter le statut de réfugié, je lui avais dit un non catégorique. Hélas, je n’en reviendrai jamais pendant plus de 16 ans, les différentes tentatives de revenir au bercail ayant été toujours découragées par les actes de persécution et d’intimidation à répétition dont ma famille et/ou moi-même étions l’objet.
C’est aussi avec ces mots pleins d’espoir que je voudrais renouveler à mes compatriotes Togolais que quelle que soit la longueur de la nuit et des ténèbres, le jour et la lumière ne sont jamais loin si nous restons fermes dans notre volonté de travailler pour ce faire.
D’abord et avant tout, qu’il me soit permis de remercier Dieu sans qui ni ce voyage, ni cette présence ici n’auront été possibles.
Aujourd’hui, le nouveau vent politique qui souffle sur le pays et qui consiste à intégrer l’idée possible d’une contradiction politique de même qu’un plus grand respect pour les droits de l’homme a permis que moi aussi, hier paria dans mon pays, je puisse revenir sur la Terre de nos Aïeux qui appartient à tous les Togolais du Nord du Sud, de l’Est comme de l’Ouest.
A ce sujet, qu’il me soit permis de donner à César ce qui est à César en remerciant les autorités togolaises d’avoir imprimé à la vie politique togolaise cette initiative de dégel et ces actions en faveur des droits de l’homme qui permettent aujourd’hui au Togolais que je suis et à d’autres dans la même situation que moi de pouvoir revenir sur la cette Terre de nos Aïeux.
Ensuite, permettez moi de m’incliner devant les nombreux morts dont le processus démocratique à la togolaise a été marqué. Depuis les morts de la Lagune de Bè et Marc ATTIDEPE à Atsusté AGBOBLI dont la mort fait encore couler de l’encre en passant par Tavio AMORIN, Gaston EDEH, Bertin FOLI, Bernard Kossi DEGLI, le Colonel TEPE, le lieutenant Vincent Djemba TOKOFAÏ et tous ceux qui sont aussi importants pour cette lutte mais que l’espace et le temps ne me permettent pas d’énumérer ici d façon exhaustive, tant ils sont nombreux.
A tous ceux-ci, comme je l’ai déjà affirmé à plusieurs reprises et transcrit de façon indélébile dans le premier livre que j’ai écrit sur notre pays et intitulé « Togo : les Espoirs Déçus d’un Peuple », il faudra, le moment venu, ériger un monument sur lequel nous inscrirons « Passant ! Vas dire au Togo que nous sommes morts pour que naisse la démocratie ». A tous ceux qui se sont ainsi sacrifiés, nous devons jurer que leur mort n’est pas vaine et que la lutte pour la DIGNITE de l’Être togolais pour laquelle ils sont tombés devra nécessairement aboutir.
A toutes les familles éplorées, à toutes ces femmes, enfants, parents qui ont payé un si lourd tribut pour que Liberté et Démocratie deviennent des réalités palpables au Togo, je voudrais présenter mes condoléances les plus sincères. Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour faire état de la nécessité du pardon le moment venu. Certes, le pardon et la réconciliation semblent souvent difficiles avec ceux qui ont été les auteurs de ces violations des droits de l’homme. Mais, puisqu’il ne peut y avoir de paix dans une société si les membres de celle-ci ne peuvent pas un jour vivre ensemble et se côtoyer, je voudrais aussi exhorter humblement toutes les victimes et les proches des victimes au pardon si un jour, dans un REPENTIR empreint de franchise et d’honnêteté faisant suite à l’éclosion de l’entière VERITE et à la mise en œuvre d’une véritable JUSTICE, les auteurs de ces abus des droits de l’homme acceptaient de faire un acte sincère de contrition. La Paix et la Réconciliation passent par ce chemin difficile mais indispensable.
Personnellement, je voudrais ici présenter mes excuses à tous ceux que mes actes, écrits et propos, ont pu blesser ou heurter de quelque manière que ce soit. Qu’ils trouvent tous ici la demande de pardon d’un citoyen qui, loin d’avoir une volonté de nuire à qui que ce soit, a simplement trop cru en la cause qu’il défend-la DIGNITE de l’homme- au point d’oublier quelques fois qu’un acte qui défend un être peut en heurter un autre. Et comme il peut arriver souvent qu’une Œuvre aussi belle soit-elle, conçue avec la Force et la Volonté les meilleures, ne fasse pas nécessairement régner la Paix parmi les Humains, certains de mes actes n’ont pas mis que la Joie dans les coeurs. J’espère que cette demande de pardon offerte solennellement et avec sincérité sera acceptée et que la réconciliation à mon modeste niveau sera possible avec tous sans exception. Pour ma part, j’ai décidé de faire mien cette philosophie : « si quelqu’un te parle par le feu, réponds lui par l’eau » et j’essaye autant que faire se peut de l’observer afin d’être en mesure de pardonner aux autres leurs offenses comme je demande à Dieu de me pardonner les miennes.
J’ose aussi espérer que le processus de Justice, Vérité et Réconciliation qui a été amorcé en application de l’Accord Politique Global de Ouagadougou et qui devrait se traduire bientôt par la mise en place d’une Commission dont je formule le vœu qu’elle respecte les règles immuables de la justice transitionnelle et plus particulièrement de toute Commission Justice, Vérité et Réconciliation, permettra enfin non seulement de faire les nécessaires lumières sur les diverses violations graves des Droits de l’Homme mais aussi et surtout de faire justice aux victimes et à leurs proches. La Réconciliation prônée par le pouvoir passe nécessairement par là si nous voulons qu’elle aboutisse à la Paix et à la Concorde indispensables à la vie de notre pays. Sur ce point j’en appelle à la capacité du Chef de l’Etat à surmonter tous les derniers obstacles qui ne manqueront pas se dresser sur le chemin de ce processus pour poser cet acte historique pour le futur du Togo et dont il ne peut que sortir grandi.
Je voudrais maintenant remercier, aux côtés des membres de ma famille et mes proches dont le soutien ne m’a jamais fait défaut, tous ceux qui m’ont porté leur concours, aussi infime soit-il, durant cette longue épreuve. Que ce soit un concours matériel, spirituel, moral ou psychologique, que tous ceux-ci trouvent ici l’expression de ma profonde gratitude. Grâce à vous tous, j’ai survécu à cette longue traversée du désert et à toutes les difficultés et suis ici aujourd’hui.
Au peuple togolais tout entier, je voudrais ici rendre un vibrant hommage pour sa détermination et sa lutte acharnée pour la liberté et l’Etat de droit depuis le début des années 1990. Malgré toutes les embûches, et les difficultés, Frères et Sœurs Togolais, vous êtes restés constants dans votre ferme volonté de voir notre pays sortir de l’obscurantisme dictatorial. Peuple Togolais ! La lutte que tu as menée encore en 2005 montre combien tu es déterminé à voir s’instaurer une véritable alternance politique dans un Etat de droit sur la Terre de nos Aïeux.
Je voudrais enfin rendre hommage à tous ceux qui ont maintenu le flambeau de cette lutte allumée : Premièrement, la vaillante jeunesse togolaise qui a démontré sa bravoure et sa détermination à se battre pour une cause juste. Deuxièmement, les hommes politiques parmi lesquels Yawovi AGBOYIBOR (à qui vient de succéder Dodji APEVON) et le CAR, Léopold GNININVI et la CDPA, Emmanuel GU KONOU et la CDPA-BT, Aimé GOGUE et l’ADDI, Dahuku PERE et l’Alliance des Démocrates pour la Patrie, Gilchrist OLYMPIO et l’UFC avec une attention particulière à Emmanuel Bob AKITANI. Plus proche de nous, il y a Monsieur Agbéyomé KODJO et son OBUTS, etc. Du côté des ONG, Monsieur Victor ALIPUI et le GRAD, le GF2D, la Ligue Togolaises des Droits de l’Homme (LTDH) et l’Association Togolaise des Droits de l’Homme et Devoirs de l’Homme (ATDH) ainsi que les diverses organisations de la société civile. Les journalistes qui méritent une mention spéciale et toutes les personnalités qui agissent individuellement en ce sens sont aussi à citer. Je n’oublie pas non plus le rôle combien éloquent de la diaspora togolaise qui pense toujours à notre chère patrie. Plusieurs autres n’ont pas été cités ici. Leur rôle n’est cependant pas à minimiser. A tous, acteurs visibles comme anonymes, je voudrais rendre un hommage mérité pour le travail qu’ils ont accompli et continuent d’abattre pour que le feu de la lutte pour un Etat de droit ne soit pas éteint.
A tous mes compatriotes, au Peuple Togolais, à Mon Peuple, je dis que dans ma position de Défenseur des Droits de l’Homme, j’ai entendu leur cri pour les souffrances diverses, économiques, culturelles, sociales, politiques, etc. qu’ils ont connues et continuent de connaître. J’ai été parfaitement au fait de tous les SOS ou signal de détresse qui ont été lancés et en tant que fils de cette Terre hospitalière qu’est la nôtre, je me battrai toujours pour que la DIGNITE de tous soit prise en considération et respectée. C’est ma petite pierre à la construction de l’édifice Togo.
Enfin, je voudrais rappeler à mes compatriotes, responsables politiques comme simples citoyens, qu’aucune avancée notable ne pourra se faire dans notre pays sans un minimum de sacrifice de soi-même.
Notre pays a connu des événements graves par le passé, raté sa transition vers démocratique et reste à ce jour dans des difficultés de pouvoir mettre en place toutes les institutions nécessaires pour un Etat de droit respectueux de la DIGNITE humaine et de l’alternance politique.
Il me semble toutefois que le Peuple togolais que j’ai connu combatif et attaché à sa liberté ; ce peuple qui a arraché de haute lutte son indépendance au colonisateur, ne doit en aucun cas perdre espoir. L’espoir est permis. Outre Atlantique, les Noirs jadis esclaves ont fini par accéder au pouvoir. Barack OBAMA et l’Amérique écrivent une histoire qui doit nous réconforter et à laquelle le Togolais ne saurait demeurer indifférent. Les esclaves d’hier sont devenus les dirigeants d’aujourd’hui. Les derniers sont appelés les premiers. Mais il ne suffit pas d’espérer car rien ne tombera du Ciel. Il faut donc que l’espoir bien nourri soit accompagné d’un travail quotidien et d’une lutte acharnée et renouvelée qui doivent permettre à notre pays de quitter les voies de la misère et de l’obscurantisme pour entrer dans la catégorie des Nations, des pays sortis des sentiers battus aussi bien sur les plans socioéconomiques que politiques. Aucun peuple ne s’est développé les bras croisés. La démocratie et le développement ne sont pas un état statique mais un processus qui doit être amélioré au fil du temps grâce à un dur labeur. Nous devons le comprendre et travailler pour que le rêve que nous avons caressé et l’espoir que nous nourrissons tous deviennent réalité. Une réalité que, sans discrimination mais dans l’unité enfin retrouvée, les Togolais du Sud, du Nord, de l’Est et de l’Ouest doivent pouvoir toucher du doigt et dont ils doivent tous jouir comme un patrimoine commun.
Chers compatriotes, il est temps que nous cessions de saigner notre pays et que nous nous engagions sur les chemins ensoleillés du Développement, de l’Etat de droit, de la Justice, de la Paix et de la vraie Réconciliation qui doivent devenir nos biens communs. Personne ne fera cela à notre place. Le temps est venu pour nous de nous engager résolument sur les sentiers illuminés de la construction d’une véritable Nation où, au-delà de l’Adja et du Moba, de l’Ewé et du Kabyè, du Mina et du Kotokoli, de l’Ana et du Losso, de l’Akposso ; au-delà du Tchokossi, du Watchi, du Lamba, du Bassar, du Gourma et tous les autres des 37 groupes ethniques qui peuplent notre pays, il y aura uniquement et simplement le TOGOLAIS. L’heure est venue de nous engager dans la voie d’une société où le loup et l’agneau pourront habiter ensemble. Une société où le civil ne se sentira pas menacé par l’homme en uniforme mais se sentira protégé par le soldat qui, à son tour, ne se sentira plus jamais haï et détesté mais accepté et aimé comme un véritable protecteur qui se sacrifie pour ses concitoyens. Le métier des armes qui est une noble fonction doit redorer tout son blason. Une société où les plus modestes et les pus humbles aussi auront voix au chapitre et où le bonheur et le bien être ne seront plus redevables exclusivement à la naissance, à l’appartenance à une ethnie ou à un parti mais plutôt au mérite. Une telle société est largement à la portée du génie togolais.
Je voudrais à cet effet nous inviter à ne pas oublier les termes d’une de nos chansons chéries de la période d’indépendance- Denyigba- qui nous dit : Deynigba wo Nyonyo, Denyigba wo Gbeble. Alessi miediwoe nenema ko nano.
Oui, Cher Frère et Sœur togolais, le bonheur ou le malheur de notre mère patrie dépendra de toi ; il dépendra de moi ; il dépendra de nous tous. Le Togo sera ce que nous ses enfants voudrions qu’il soit.
Que l’Eternel Bénisse le Togo
Jean Yaovi DEGLI
Sentinelle ! Que dis tu de la nuit ? La nuit est longue mais le jours vient »



