
Le coup de filet a eu lieu le samedi 20 juin après-midi : treize personnes ont été arrêtées dans une résidence de la capitale. Une autre a été appréhendée le lendemain alors qu’elle s’apprêtait à franchir la frontière avec la Namibie et une dernière a été arrêtée mardi 23 juin, soit en tout quinze « conspirateurs ».
Dans la foulée, Eugénio Pedro Alexandre, directeur du service d’investigation criminelle, a publié un communiqué expliquant que ces citoyens « se préparaient à commettre des actes destinés à modifier l’ordre et la sécurité publique ». Pour sa part, le site d’opposition Club-K a annoncé que la police allait présenter des preuves sous forme de documents, de brochures, de manuels, de fichiers électroniques et de livres.
Les détenus sont de jeunes militants des droits humains appelés « revús » (abréviation angolaise de « révolutionnaires »), bien connus en Angola pour organiser des conférences ou des marches pacifiques. Parmi eux se trouvent des personnalités comme le rappeur Luaty Beirão, l’ex-prisonnier politique le plus jeune du monde, Manuel Nito Alves, ou le philosophe Domingos de Cruz, qui est aussi journaliste pour l’hebdomadaire Folha 8 et animateur d’un observatoire de la presse, créé fin 2014 afin de défendre la liberté d’expression et la démocratie. C’est lui qui a été arrêté dimanche à la frontière de la Namibie et dont les œuvres semblent avoir joué un rôle important dans cette affaire.
Car les personnes arrêtées en « flagrant délit de coup d’Etat », selon les mots du parquet, dissertaient samedi 20 juin des « 180 techniques pacifiques de détruire un dictateur », exposées dans le dernier livre de Domingos de Cruz sur la désobéissance civile : Outils pour détruire un dictateur et éviter de nouvelles dictatures, en portugais Ferramentas para Destruir o Ditador e Evitar Nova Ditadura (éditions Mondo Bantu, 2015).
Les jeunes gens ont été incarcérés dans différentes unités de police à Luanda avant d’être placés en cellule d’isolement puis d’être transférés à la prison de Calumboloca, à 70 kilomètres de la capitale, sans doute pour rendre plus difficile le travail des avocats et les visites des familles. Sur les quinze, seuls quatre ont été entendus en présence d’un avocat. Une note du parquet datée du 25 juin leur interdit tout contact avec l’extérieur pendant au moins dix jours. Abel Chivukuvuku, chef du parti de l’opposition CASA-CE, a essayé de rendre visite aux « revús ». En vain.
Le 25 juin, le parquet a également présenté au Parlement un enregistrement sonore en affirmant qu’il s’agissait d’une preuve que les jeunes préparaient une insurrection populaire destinée à renverser le président dos Santos et précisant qu’ils étaient manipulés par des ambassades occidentales, qui leur auraient promis 100 millions de dollars pour financer leurs basses œuvres.
Lire aussi : Angola : combien de morts lors de l’assaut policier contre la secte du Mont Sumé ?
Selon le site Club-K, ces informations ont été obtenues par un agent de sécurité infiltré chez les « revús » et répondant au nom de code de « Dongala » (nom très courant, équivalent en France de Dupont ou Durand). Dongala est d’ailleurs l’auteur de l’enregistrement présenté au parlement. On y entend notamment Domingos da Cruz affirmer que les dictatures doivent être éradiquées, mais sans violence.
Parmi les documents saisis au domicile des « revús » et dans leurs ordinateurs a notamment émergé une liste de noms de personnes que les « conspirateurs » estimaient capables de diriger le pays après le régime dos Santos. Ce travail théorique accompli par les jeunes gens embastillés engloberait tous les postes clés et tous les secteurs de la société angolaise, du sommet politique de l’Etat jusqu’aux organisations de loisirs, en passant par l’économie, les sports, la culture, la justice et même le ministère de la pêche.
Commentaire d’un proche de Domingos da Cruz, qui préfère garder l’anonymat : « Les jeunes ont pris au sérieux ce qui va arriver tôt ou tard, avec ou sans violence, ne serait-ce que pour des raisons naturelles : un changement de régime. Mais cela ne constitue pas une tentative de coup d’Etat ! »
Le 22 juin, Amnesty International a appelé à la libération immédiate et sans condition de tous les militants arrêtés en Angola alors qu’ils s’étaient réunis pour parler des violations des droits humains et des problèmes de gouvernance. « Il s’agit d’une manœuvre visant à étouffer les voix dissidentes et réprimer la liberté de réunion pacifique dans le pays », a ajouté l’organisation.